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Les circonstances de l’interview du 7 juin 1933. Georges Simenon embarque à Marseille à
bord du paquebot “Angkor” le 25 mai 1933 et débarque à Istanbul le 1er juin 1933
Le reporter vient découvrir la Turquie et la Mer Noire avec son épouse mais ce voyage a également un but bien précis. En effet, le quotidien Paris-Soir l’envoit réaliser une interview de Léon Trotsky, qui séjourne depuis février 1929 sur l’île de Prinkipo, l’actuelle Büyükada la plus grande des îles des Princes au large d’Istanbul.
Le 6 juin 1933, le reporter monte à bord d’un bateau à vapeur à destination de Büyükada où il rencontre le révolutionnaire russe le lendemain matin. L’article fait la Une de Paris-soir une semaine plus tard, les 15 et 16 juin 1933 — numéros qui contiennent par ailleurs les deux derniers épisodes de son roman l’Écluse, publié en feuilleton depuis le 23 mai.
Restés sur place, Georges et Régine Simenon vont à Odessa avec un paquebot italien puis poursuivent leur périple jusqu’à Batum sur un bateau de croisière soviétique. Les époux Simenon se rendent également en train à Ankara. Le séjour turc du reporter et de son épouse s’achève le 19 juillet 1933. Ils quittent Istanbul à bord du “Théophile-Gauthier”, un navire français qui les ramène à Marseille une semaine plus tard. Simenon rédige plusieurs reportages consacrés à la Turquie et utilisera de nombreux souvenirs empruntés de ce voyage dans certains de ses romans.
Léon Trotsky avait entendu parlé de Prinkipio en janvier 1919, car les Américains y avaient planifié une conférence de paix sur l’avenir de la Russie à laquelle les leaders de la révolution bolcheviques avaient envisagé de participer. Pendant les quatre années qu’il demeurera dans l’île, il n’ira qu’une seule fois à Istamboul, car il faut tout de même voir Sainte-Sophie. En revanche, à l’automne de 1932, il se rend à l’invitation d’une association d’étudiants social- démocrates danois pour donner une conférence à Copenhague sur la Révolution russe. Robert Capa y fera sa célèbre série de photographies. Le séjour en Turquie devient dangereux et Trotsky cherche un nouvel asile.
Trois semaines après la publication de l’interview, au début de juillet 1933, le gouvernement français, Daladier étant président du Conseil, accorde l’autorisation de séjour en France, sous certaines conditions. Trotsky, Natalia et les amis qui les accompagnaient arrivèrent à Marseille le 24 Juillet 1933.
Après plusieurs mois de séjour à Royan, Trotsky fut autorisé le 16 décembre 1933 à se rapprocher du centre, la Seine et la Seine-et-Oise restant interdites. Barbizon parut commode. On s’installa dans une maison relativement isolée, en bordure de la forêt.
Constantinople 7 juin 1933. J’ai rencontré dix fois Hitler, au Kaiserhof, alors que, tendu et fébrile, déjà chancelier, il menait sa campagne électorale. J’ai vu Mussolini contempler sans lassitude le défilé de milliers de jeunes hommes. Et à Montparnasse, un soir, j’ai reconnu Gandhi dans une silhouette blanche qui rasait les maisons, suivie par de jeunes femmes fanatiques. Pour avoir une entrevue avec Trotsky, me voilà sur le pont plus grouillant que le Pont-Neuf de Paris qui relie le vieux et l’ancien Constantinople, Stamboul et Galata. Pourquoi vais-je avoir désormais une impression de beau dimanche sur la Seine, du côté de Saint-Cloud, de Bougival ou de Poissy ? Je n’en sais rien. Tous les bateaux, autour des embarcadères enchevêtrés, me font penser à des bateaux-mouches. Ils sont plus grands ? C’est certain. Ils ont même un petit air marin et l’hélice bat de l’eau salée. Mais c’est une question de proportion. C’est tout le décor qui est plus vaste, le ciel lui-même plus lointain. Ici, une rive s’appelle l’Europe et l’autre l’Asie. Au lieu des remorqueurs et des péniches de la Seine, ce sont autant de cargos et de paquebots qui battent pavillon de tous les pays du monde, s’en vont vers la mer Noire ou se faufilent dans les Dardanelles. Qu’importe ? Je garde mon impression de beau dimanche, de banlieue, de guinguettes. Il y a des couples d’amoureux sur le pont du bateau, des paysans qui transportent des poules et des coqs dans des cages, des marins en permission qui sourient d’avance au plaisir qu’ils vont se donner. Trotsky ? Je lui ai écrit avant-hier pour lui demander une entrevue. Le lendemain matin déjà j’étais réveillé par la sonnerie du téléphone. – Monsieur Simenon ? Ici le secrétaire de M. Trotsky. M. Trotsky vous recevra demain à 4 heures.
Il faut auparavant que je vous dise que M. Trotsky, dont les déclarations ont été trop souvent déformées, désire recevoir auparavant vos questions écrites. Il y répondra par écrit… J’ai posé trois questions. Le ciel est bleu, l’air aussi limpide que l’eau profonde où l’on voit pourtant se balancer des algues d’un vert sombre. Là-bas, dans la mer de Marmara, à une heure de Constantinople, quatre îles émergent, les ” îles “, comme on dit simplement ici, et déjà nous touchons au débarcadère de la première. Meudon ou Saint-Cloud, avec les couleurs de la Côte d’Azur. Les pentes sont douces et vertes, ombragées de pins maritimes. Mais c’est la banlieue. Ce sont des dactylos et des midinettes qui rêvent au fond des petites barques où rament leur amoureux.
On vend du chocolat et de la crème glacée et des photographes arrêtent les passants tandis qu’une femme placide tient un tir à la carabine.
Entre les îles, il n’y a guère plus de largeur qu’entre les rives de la Seine. La verdure est parsemée de villas blanches qui s’étagent. Un arrêt encore. Puis un autre. Presque tous les couples ont déjà quitté le bateau.
Voici Prinkipo, l’île où se dresse quelque part la maison de Trotsky.
On a parlé, je crois, de retraite somptueuse, de villégiature de luxe, de propriété paradisiaque. Au bord de la Seine aussi, à mesure que l’on s’éloigne de Paris, le niveau social monte d’un ton, les villas cossues remplacent les guinguettes et les canots automobiles les bachots de location.
A Prinkipo, le débarcadère est plus coquet et il est entouré de restaurants dont les nappes blanches scintillent dans le soleil. Des voitures attendent, attelées de deux petits chevaux, couvertes d’un dais de toile, mais elles subissent la concurrence des ânes qui, tout sellés attendent sans impatience. Il y en a cinquante, peut-être cent sur une petite place…
Une voiture m’emmène le long d’une route bordée de villas. Beaucoup sont à louer ou à vendre, car la crise est dure en Turquie aussi. Les persiennes sont closes, mais les jardins sont pleins de roses si grosses qu’elles semblent obèses. En contre-bas, on aperçoit la mer plate et bleue. La voiture s’arrête. Mon cocher tend le bras. Il ne me reste qu’à descendre par une venelle entre deux murs. Tout est si calme, si immobile, l’air, l’eau, les feuilles, le ciel, qu’on a l’impression de rompre en passant les rayons du soleil.
Pourtant voilà un homme, derrière une grille. Sa tunique de policier turc est ouverte sur une chemise blanche et, comme un paisible rentier dans son jardin, il a chaussé de molles pantoufles. Un autre policier en sort, en civil celui-ci, ou plutôt en bras de chemise car il achève de se laver et il nettoie ses oreilles du bout d’une serviette.
— Monsieur Simenon ? Je suis dans le jardin touffu qui n’a pas plus de cent mètres sur cinquante. Un petit chien se roule dans la poussière. Un jeune homme débraillé, dans un fauteuil-hamac, lit une brochure anglaise et ne me jette même pas un regard. Voici un autre jeune homme, sous la véranda. Il est en pantoufles, en bras de chemise lui aussi… Tout cela au ralenti. Je crois que c’est l’air qui est en cause. Je suis au ralenti aussi, sans fièvre, j’allais dire sans curiosité.
— Monsieur Simenon ? Un de ces jeunes hommes s’avance, cordial, la main tendue et bientôt nous sommes assis tous les deux sur la terrasse tandis qu’à l’autre bout du jardin le policier achève sa toilette. On pourrait rester là des heures sans rien faire, sans rien dire, peut-être même sans penser.
— Si vous voulez, nous bavarderons d’abord tous les deux. Ensuite vous irez voir M. Trotsky. Le secrétaire n’est pas Russe. C’est un jeune garçon du Nord plein de santé, au teint rose, aux yeux clairs.
Il parle français comme s’il était né à Paris.
— Je suis très étonné que M. Trotsky ait accepté de vous recevoir. D’habitude, il évite les journalistes.
— Savez-vous ce qui me vaut cette faveur ?
— Je l’ignore.
Moi aussi. Et je continuerai à l’ignorer. Peut-être mes questions ont-elles coïncidé avec le désir qu’a Trotsky de faire, en ce moment, une déclaration sur certain sujet ? (Il obtient un permis de séjour un France trois semaines après la publication de l’article, NDLR).
Nous bavardons, et autour de nous tout est immobile dans l’immobilité de l’air. Les deux jeunes gens dans le jardin, sont des invités : un Anglais et un Suédois. Ils partiront après une semaine ou un mois et il en viendra d’autres, de n’importe quel point du monde, des amis ou des disciples, qui vivront un certain temps dans l’intimité de la maison de Prinkipo. Une intimité véritable, presque l’intimité intégrale de la caserne..
— Il n’y a jamais eu d’attentat ?
— Jamais. Comme vous voyez, la vie est simple. Les deux policiers habitent cette bicoque, au fond du jardin. M. Trotsky ne va guère à Constantinople que pour consulter son médecin et son dentiste. Il prend le bateau qui vous a amené et les policiers l’accompagnent. C’est à peu près toute la vie extérieure de la maison. Trotsky et Mme Trotsky ont besoin du médecin. Pour le reste, ils ne descendent même pas au village. A quoi bon ? Il faut être là pour le comprendre, sur la terrasse qui surplombe le jardin et la mer, avec, pour horizon tout proche, l’Asie d’une part et l’Europe de l’autre.
— Voulez-vous le voir maintenant ?
Dans les pièces, les murs sont nus, tout blancs, et il n’y a que des rayonnages et des livres pour apporter quelque diversion. Les livres sont en toutes langues et je distingue le Voyage au bout de la Nuit dont la couverture est bien fatiguée. (Publié six mois plus tôt NDLR)
– M. Trotsky vient de le lire et il en a été profondément troublé. En matière de littérature, d’ailleurs, c’est la française qu’il connaît le mieux…
Trotsky se lève pour me tendre la main, puis se rassied à son bureau, en laissant doucement peser son regard sur ma personne.
On l’a décrit mille fois et je ne voudrais pas tenter de le faire à mon tour. Ce que je voudrais, c’est donner la même impression de calme et de sérénité que j’ai reçue, le même calme, la même sérénité qu’au jardin, que dans la maison, que dans le décor.
Trotsky, simple et cordial, me tend des feuilles dactylographiées qui contiennent ses réponses à mes questions.
— Je les ai dictées en russe et mon secrétaire les a traduites ce matin. Je vous demanderai seulement de me signer un second exemplaire que je garderai.
Sur le bureau, il y a, épars, des journaux du monde entier et Paris-Soir est tout au-dessus de la pile. Sans doute Trotsky l’a-t-il parcouru avant mon arrivée ?
(…) Sur sa table, près des journaux, un article commencé. C’est tout, toute la vie de la maison. Une fois, souvent deux fois par jour, Trotsky s’en va poser ses filets et ses lignes sur l’eau calme de la mer de Marmara. Le reste du temps, il est dans ce cabinet à la fois si loin et si près du monde.
— Je n’ai, malheureusement, les journaux qu’avec plusieurs jours de retard. Il sourit. Il a un visage reposé, le regard tranquille. Mais n’est-ce pas au prix d’un effort ? N’est-il pas obligé de ménager ses forces? Pour poursuivre son œuvre, ne s’astreint-il pas à cette vie prudente qui fait un peu penser aux gestes hésitants d’un convalescent ? Mais, peut-être, n’est-ce que sagesse ?
— Vous pouvez me questionner.
C’est vrai. Seulement ce qui se dira ici, désormais, je me suis engagé à ne pas le publier. Trotsky commente les déclarations qu’il m’a remises. Et sa voix, ses gestes sont à l’unisson de la paix ambiante.
Nous parlons d’Hitler, longuement. Le sujet le préoccupe. On le sent inquiet. Je lui répète les opinions si contradictoires que j’ai entendues un peu partout en Europe, non sur l’œuvre du Führer, mais sur sa personnalité, sur sa valeur propre.
Et je ne crois pas être infidèle à mon engagement en répétant quelques mots qui m’ont frappé, là-bas dans la maison de Prinkipo, si distante de Berlin (au début juin 1933 NDLR) :
— Hitler s’est fait lui-même au fur et à mesure qu’il faisait son œuvre. Il a appris, degré par degré, étape par étape, au cours de la lutte…
Les réponses à mes questions ? Nous les lisons ensemble. J’ai demandé à Trotsky :
—Croyez-vous que la question des races sera prédominante dans l’évolution qui suivra la fermentation actuelle ? Ou bien sera-ce la question sociale ? Ou la question économique ? Ou la question militaire ? (première des trois questions écrites NDLR).
Trotsky répond : — Non, je suis loin de penser que la race soit un facteur décisif dans l’évolution de l’époque prochaine.
La race est une matière anthropologique crue — hétérogène, impure, mêlée (mixtum compositum) — une matière d’où le développement historique a créé les produits semi- fabriqués que sont les nations… Les classes et les groupements sociaux, les courants politiques qui naissent sur leurs bases décideront du sort de l’époque nouvelle.
Je ne nie évidemment pas la signification des qualités et des traits distinctifs des races ; mais dans le processus de l’évolution, devant la technique du travail et devant la technique de la pensée, elles passent à l’arrière-plan.
La race est un élément statique et passif, l’histoire est la dynamique. Comment un élément relativement immobile peut-il déterminer par lui-même le mouvement et le développement ? Tous les traits distinctifs des races s’effacent devant le moteur à combustion interne, sans même parler de la mitrailleuse.
Lorsque Hitler se prépara à établir un régime étatique adéquat à la pure race germano- nordique, il n’a trouvé rien de mieux que de plagier la race latine du midi. En son temps, Mussolini dans la lutte pour le pouvoir, a utilisé bien qu’en la renversant, la doctrine sociale d’un Allemand ou d’un Juif allemand, Marx, qu’il avait appelé, un ou deux ans auparavant “notre maître immortel à tous”.
Si, aujourd’hui, au vingtième siècle, les nazis proposent de tourner le dos à l’histoire, à la dynamique sociale, à la civilisation, pour revenir à la “race”, alors pourquoi ne pas revenir encore plus en arrière : l’anthropologie — n’est-il pas vrai ? —n’est qu’une partie de la zoologie.
Qui sait ? C’est peut-être dans le royaume des anthropopithèques que les racistes trouveraient les inspirations les plus élevées et les plus indiscutables pour leur activité créatrice ?
Dictatures et démocraties (seconde des trois questions écrites NDLR) :
— Le groupe des dictatures peut-il être considéré comme un embryon de regroupement des peuples ou n’est-il qu’un accident passager ?
Réponse de Trotsky : — Je ne pense pas que les groupements des Etats se feront sous le signe d’une part de la dictature, d’autre part de la démocratie.
A l’exclusion d’une mince couche de politiciens professionnels. les nations, les peuples, les classes ne vivent pas de politique. Les formes étatiques ne sont qu’un moyen en face de tâches déterminées, surtout économiques. Evidemment, une certaine similitude des régimes étatiques prédispose au rapprochement et le facilite. Mais, en dernière instance, ce sont les considérations matérielles qui décident : les intérêts économiques et les calculs militaires.
Est-ce que je considère le groupe des dictatures fascistes (Italie. Allemagne) et quasi bonapartistes (Pologne, Yougoslavie, Autriche) épisodique et momentané ? Hélas ! Je ne peux pas faire mien un pronostic si optimiste. Le fascisme est provoqué non par une psychose ou par une ” hystérie ” (c’est ainsi que se consolent les théoriciens de salon, dans le genre du comte Sforza), mais par une profonde crise économique et sociale qui, impitoyablement, ronge plus que tout le corps de l’Europe.
La crise cyclique actuelle n’a fait que rendre plus aigus des processus organiques morbides. La crise cyclique cédera inévitablement la place à une ?amélioration? de la conjoncture, toutefois moindre que celle qu’on attendait. Mais la situation générale de l’Europe ne s’améliorera pas beaucoup.
Après chaque crise, les petites et faibles entreprises deviennent encore plus faibles ou meurent complètement ; les fortes entreprises deviennent encore plus fortes. L’Europe morcelée représente une combinaison de petites entreprises, hostiles les unes aux autres, à côté des géants économiques des Etats-Unis. La situation de l’Amérique est actuellement très difficile : le dollar lui-même a ployé le genou. Néanmoins, par suite de la crise actuelle, le rapport des forces mondiales changera en faveur de l’Amérique et au détriment de l’Europe.
Le fait que le vieux continent, dans son ensemble, perd la situation privilégiée qu’il avait dans le passé, mène à une exacerbation démesurée des antagonismes entre les Etats européens et entre les classes au sein de ces Etats. Bien entendu, dans les différents pays, ces processus ont atteint une tension différente. Mais je parle d’une tendance historique générale. La croissance des contradictions sociales et nationales explique, à mon avis, l’origine et la stabilité relative des dictatures.
Pour expliquer ma pensée, je me permets de me référer à ce que j’ai eu l’occasion de dire, il y a quelques années, sur cette question-ci : pourquoi les démocraties cèdent-elles la place à la dictature et est-ce pour longtemps ? Laissez-moi donner ici une citation littéraire d’un article écrit le 25 février 1929 :
On dit quelquefois que nous avons affaire, dans ce cas, à des nations arriérées ou manquant de maturité. C’est une explication à peine bonne pour l’Italie. Mais, même dans les cas où cette explication est juste, elle n’éclaircit rien.
Au dix-neuvième siècle, on considérait comme une loi que les pays arriérés gravissent les degrés de la démocratie. Pourquoi donc le vingtième siècle les pousse-t-il dans la voie de la dictature ? Les institutions démocratiques montrent qu’elles ne supportent pas la pression des contradictions contemporaines, tantôt internationales, tantôt intérieures, le plus souvent internationales et intérieures à la fois.
Est-ce bien ? Est-ce mal ? En tout cas c’est un fait.
Par analogie avec l’électro-technique, la démocratie peut être définie comme un système de commutateurs et d’isolants contre les courants trop forts de la lutte nationale ou sociale. Aucune époque, dans l’histoire humaine ne fut saturée d’autant d’antagonismes que la nôtre. Une surtension du courant se fait de plus en plus sentir en différents points du réseau européen.
Sous une trop grande tension des contradictions de classes et internationales, les commutateurs de la démocratie fondent ou volent en éclats. Tels sont les courts-circuits de la dictature. Les interrupteurs les plus faibles se rendent évidemment les premiers.
Lorsque j’écrivais ces lignes (1929), l’Allemagne avait encore à sa tête un gouvernement social- démocrate. Il est clair que la marche ultérieure des événements d’Allemagne, pays que personne ne traitera d’arriéré, n’a pu ébranler aucunement mon appréciation.
Il est vrai que, pendant ce temps, le mouvement révolutionnaire en Espagne a balayé non seulement la dictature de Primo de Rivera, mais aussi la monarchie. Des courants contraires de ce genre sont inévitables dans un processus historique.
Mais l’équilibre intérieur est loin d’être réalisé sur la péninsule d’au-delà des Pyrénées. Le nouveau régime espagnol n’a pas encore démontré sa stabilité.
La paix ou la guerre ? (troisième des trois questions écrites NDLR)
– Croyez-vous l’évolution possible par glissement ou considérez-vous une secousse violente comme nécessaire ? Combien de temps pensez-vous que puisse se prolonger le flottement actuel ?
Réponse. — Le fascisme, particulièrement le national-socialisme allemand, apporte à l’Europe un danger indiscutable de secousses guerrières. Etant à l’écart, je me trompe peut-être, mais il me semble qu’on ne se rend pas suffisamment compte de toute l’étendue de ce danger. A- t-on en vue une perspective non de mois mais d’années — pas de dizaines d’années en tous cas — je considère comme absolument inévitable une explosion guerrière du côté de l’Allemagne fasciste. C’est précisément cette question qui peut devenir décisive pour le sort de l’Europe. J’espère, du reste, m’exprimer très prochainement sur ce thème dans la presse.
Peut-être trouverez-vous que je fais une appréciation très sombre de la situation ? Je m’efforce seulement de tirer les conclusions des faits, en prenant pour guide, non pas la logique des sympathies et des antipathies, mais la logique du processus objectif.
Que notre époque ne soit pas celle d’une paisible et calme prospérité et du confort politique, j’espère qu’il n’est pas nécessaire de le prouver. Mais mon appréciation ne peut paraître pessimiste qu’à celui qui mesure la marche de l’histoire avec une unité trop courte. De près, toutes les grandes époques apparurent très sombres. La mécanique du progrès, il faut le reconnaître, est bien imparfaite. Mais il n’y a aucune raison de penser que Hitler ou la combinaison de plusieurs Hitler réussiront pour toujours, ou à la rigueur pour une dizaine d’années, à faire faire machine arrière à cette mécanique. Ils casseront beaucoup de dents aux engrenages, ils tordront beaucoup de leviers, ils peuvent faire reculer l’Europe pour une série d’années. Mais je ne doute pas que, finalement, l’humanité trouvera son chemin. Tout le passé en est une garantie. (…)
— Vous avez encore des questions à me poser ? demande Trotsky avec patience.
— Une seule, mais je crains qu’elle ne soit indiscrète. Il sourit et, d’un signe de la main, m’encourage a poursuivre.
— Des journaux ont prétendu que vous avez reçu récemment des émissaires de Moscou chargés de vous demander votre retour en Russie ?
Le sourire s’accentue
– C’est faux, mais je connais l’origine de la nouvelle. C’est un article de moi paru voilà deux mois dans la presse américaine. J’y disais, entre autres, qu’étant donné la politique russe actuelle, je serais prêt à servir à nouveau si un danger quelconque menaçait le pays. Il est calme et quiet.
— Vous reprendriez du service actif ? Il dit oui d’un mouvement de tête, tandis qu’un des jeunes gens, sans doute pour la pêche du soir, installe des filets dans une des barques.
Retour de Saint-Cloud, je veux dire Prinkipo, et bateau-mouche.
Le soir, je dîne à la Régence. Le prospectus dit : “Le restaurant élégant où vous serez reçu par
des dames de l’aristocratie russe…”
Car il y a encore un millier de Russes émigrés à Constantinople et, le soir, comme à Paris, Berlin ou ailleurs, c’est la nostalgie des balalaïkas, des pirojoks, de la vodka et des chachliks. A cette heure-là, dans son île, que les midinettes et les calicots ont désertée, Trotsky dort.”
Première publication dans la presse quotidienne : Paris-Soir, 15 et 16 juin 1933. En livre : Georges Simenon, Mes apprentissages, Reportages 1931-1946, Omnibus, 2001, pp 829-837.
The circumstances of the 7 June 1933 interview on Prinkipo island
Georges Simenon embarked at Marseilles on the ship “Angkor” May 25, 1933 and landed in Istanbul on 1 June 1933.
The reporter came to discover Turkey and the Black Sea with his wife but this trip also has a purpose. The Paris daily newspaper Paris-Soir sent him to conduct an interview with Leon Trotsky, which is since February 1929 on the island of Prinkipo, the current Buyukada, largest of the ‘Princes’ Islands off Istanbul.
On 6 June, 1933, the reporter boarded a steamer to Büyükada, where he met the Russian revolutionary the next day. The article will appeared on the front page of Paris-Soir a week later, on 15 and 16 June 1933.
Georges and Régine would go to Odessa with an Italian ship then continued their journey to Batum on a Soviet cruise ship. Later, the Simenon then will also go by train to Ankara.
The Turkish trip of the Belgian reporter with his wife ended on the 19th July 1933 and they left Istanbul on board of the “Theophile Gauthier,” a French ship that brought them back to Marseille a week later. Simenon wrote several articles on Turkey and many memories of this trip in his novels.
Leon Trotsky had heard of Prinkipo alraeady in January 1919, when the Americans had planned a peace conference on the future of Russia to which the Bolshevik Revolution leaders had planned to participate: the Prinkipo Conference Plan.
During the four years Trotsky remained on the island, he would go only once to Istanbul and see Hagia Sophia. However, in the fall of 1932, he went, at the invitation of an association of Danish Social Democratic students to lecture in Copenhagen on the Russian Revolution. Robert Capa will take there his famous series of photographs. The stay in Turkey became dangerous and Trotsky was seeking a new asylum.
Three weeks after the publication of the interview, in early July 1933, the French Government, Daladier being chairman, grants permission to stay in France, under certain conditions. Trotsky, Natalia and friends accompanying them arrived in Marseille July 24, 1933.
After a first residence in Royan, Trotsky was allowed on 16 December 1933 to approach Paris, the Seine and the Seine-et-Oise remaining prohibited. In Fontainebleau forest, Barbizon seemed convenient. And he settled into a relatively isolated house, on the edge of the forest…
Simenon’s article (large extracts): “I met Hitler ten times at the Kaiserhof when, tense and feverish, as Chancellor he carried out his electoral campaign. I saw Mussolini tirelessly contemplate a parade of thousands of young men. And one evening in Montparnasse I recognized Gandhi in a white silhouette who walked hugging the walls, followed by some fanatical young women.
On my way to interview Trotsky I found myself on the bridge that connects old and new Contantinople, Stamboul and Galata, a bridge more crowded than the Pont-Neuf in Paris. Why do I have an impression of a beautiful Sunday on the Seine near St Cloud, or Bougival or Poissy? No idea.
Maybe the boats around the tangled boarding planks make me think of bateaux-mouches. Aren’t they bigger? Sure ! They even have a marine air… The entire décor is more vast, the sky itself farther away. Here one bank is called Europe and the other Asia… Does it matter?
I maintain my impression of a beautiful Paris Sunday, the suburbs, the cafés, with lovers on the bridge of the ship, peasants transporting chickens and roosters in cages, sailors on leave who smile in advance at the pleasures they’re going to indulge themselves in.
Trotsky? I wrote the day before yesterday to ask him for an interview. And yesterday morning I was awakened by the ringing of the telephone: — M. Simenon? This is M. Trotsky’s secretary. M. Trotsky will receive you tomorrow at 4:00 pm. Before this I must tell you that M. Trotsky, whose declarations have been too often twisted, would like to receive your written questions in advance. He will respond in writing …”
I asked three questions. The sky is blue, the air as limpid as the waters are deep where the movements of dark green algae can nevertheless be seen. Down there, in the Sea of Marmora, one hour from Constantinople, four islands emerge, the “Islands” as they are called here…
Meudon or St Cloud, but with the light of the Riviera. The slopes are gentle and green, shaded by maritime pines. But it’s suburbian. With young typists and pretty women dreaming inside little boats rowed by their lovers..
And here is Prinkipo, the island where Trotsky’s house somewhere stands.
There were rumors of a sumptuous retreat, a luxurious villa, a paradisiacal property. Along the Seine too as we get further away from Paris the social level rises, rich villas replace cafes, and motorboats replace rented row-boats. The landing dock in Prinkipo is more stylish and is surrounded by restaurants whose white tablecloths sparkle in the sun.
Taxis (carts) stand waiting, with two horses covered in white cloths who have to put up with the competition of saddled donkeys who wait without any impatience. There are fifty, maybe a hundred in the little square.
Friday, a day of rest in Turkey, they’ll be overwhelmed. And anywhere with shade and grass, in the least little creek, behind the bushes, on the hills, the crowd will gather, spread out its victuals, grow drunk on laughter, music, and love.
Trotsky? A cart carries me along a route lined with villas. Many are for sale or rent, for the economical crisis hits hard Turkey, too. The blinds are closed, but in the gardens, the roses so fat that they seem to be obese. On the other side the blue sea, flat and silent. The cart stops. The coachman extends his arm. All I need to do is just to descend an alleyway between two walls. Everything is so calm, so immobile, the air, the water, the leaves, the sky that, just by passing through the sun light, one has the impression of breaking the sun’s rays.
Yet there is a man behind the grill. His Turkish police officer’s tunic is open on a white shirt and, like a peaceful annuitant piker in his garden, he’s wearing soft shoes.
Another policeman comes out in plainclothes, or rather in shirt sleeves, for he’s just finished his toilet and he’s drying his ears with the end of a towel.
“Monsieur Simenon?” I am in a lush garden that’s only 100 meters by fifty. A little dog rolls in the dust…
“Monsieur Simenon?” A young man steps forward, cordial, his hand extended, and soon we are both seated on the terrace while the policeman finishes his toilet…
One can stay there for hours doing nothing, saying nothing, perhaps thinking nothing.
“If you’d like, first the two of us will talk. Afterwards you’ll see M. Trotsky.” The secretary isn’t Russian. He’s from the north, healthy, pink-cheeked, light-eyed, speaking French as if he were born in France.
“I’m quite surprised that M. Trotsky accepted to receive you. Usually he avoids journalists.”
“Do you know why I received such a favor?”
“I have no idea.” Me neither. And I will continue not to know why. Perhaps my questions coincide with a desire of Trotsky’s to make a declaration on a certain subject? (Note: three weeks after the publication, Trotsky obtained a permission to stay in France).
We chat, and around us everything is stillness in the immobility of the air. The two young people in the garden are guests; an Englishman and a Swede. They’ll leave after a week or a month and after them others will come, from whatever part of the globe, friends or disciples, who will live for a while in the intimacy of the house in Prinkipo. A true intimacy, almost the total intimacy of a barracks…
“There’s never been an attack?”
“Never. As you see, life is simple. The two policemen live in this shack, I at the back of the garden. M. Trotsky rarely goes to Constantinople, only to see his doctor or dentist. He takes the boat that brought you here and the policemen accompany him.”…
He doesn’t even go down to the village. Why would he go? One must be there to understand, on that terrace that looks down on the garden and the sea, with, as a near horizon, Asia on one side and Europe on the other.
“Would you like to see him now?”
The walls are white, and there are only bookshelves to lend a little diversity. The books are in
all languages, and I notice Celine’s Voyage au bout de la nuit with a worn-out cover.
“M. Trotsky just read it and he was deeply moved. By the way, when it comes to literature it’s
the French that he knows best.”
Trotsky rises to give me his hand, then sits at his desk, gently allowing his regard to light on my person. He’s been described a thousand times, and I wouldn’t like to attempt it myself. What I’d like to do is give the same impression of calm and serenity that I received, the same calm, the same serenity as in the garden, in the house, in the décor.
Trotsky, simple and cordial, extends to me the typed pages that contain his responses to my questions.
“I dictated them in Russian to my secretary, he translated them this morning. I would only ask you to sign a second copy that I will keep.”
Newspapers from all over the world spread across his desk, Paris-Soir on the top of the pile. Did Trotsky go through it before my arrival?
Through the open bay window is glimpsed a minuscule port at the end of the garden where two boats float: a little Turkish caique and a motorboat.
Simenon in Conversation with Trotsky 20 The Prinkipo 1933 Interview .
“You see,” Trotsky smiled, “ I’ve been fishing since six o’clock in the morning.” He doesn’t tell
me that he’s forced to bring one of the policemen, but I know it.
With a gesture he points out the hills of Asia Minor, which are barely five kilometers away.
“Over there there’s hunting in the winter …”
On the table, near the newspapers, an article that he’s begun.
That’s the whole life of the household. Once, often twice a day, Trotsky goes to put his lines in the calm waters of the Sea of Marmora.
The rest of the time he is sitting in this office, at one and the same time so far and so close to the world.
“Unfortunately, the newspapers get here several days late.”
He smiles. His face is at rest, the gaze tranquil. But isn’t this at the price of an effort?
Isn’t he forced to save his strength? In order to continue his work, doesn’t he force himself to follow this so prudent life, which make one think of the hesitant gestures of a convalescent?
But perhaps this is nothing else but wisdom. “You can question me.”
It’s true. But what will now be said I promised not to publish. Trotsky comments on the declarations he gave me. And his voice, his gestures are at one with the ambient peace.
We talk at length about Hitler. The subject preoccupies him. One can feel how worried he is. I repeat to him the contradictory opinions I heard around Europe, not on Hitler’s work, but on his personality, on his very worth.
I don’t think I’m betraying my promise in repeating some of the phrases that struck me in the house in Prinkipo, so far from Berlin.
“Little by little Hitler made himself as he accomplished his work. He learned step by step, stage by stage, over the course of the struggle.” (this in early June 1933)
The answers to my questions? We read them together.
(First of Georges Simenon’s three written questions) I asked Trotsky:
“Do you think the racial question will predominate in the evolution that will follow the current ferment? Or will it be the social question? Or the economic question? Or the military question?”
Trotsky answers: “No, I don’t think at all that race will be a decisive factor in the evolution of the next era. Race is a raw anthropological matter — heterogeneous, impure, mixed (mixtum compositum) — a matter from which historical development has created the semi-fabricated products that are nations …
Classes, social groupings and political movements that will be born on their base will decide the fate of the new era. Obviously I don’t deny the significance of the distinctive qualities and traits of races; but in the evolutionary process they are in second place behind the techniques of labor and thought.
Because Race is a static and passive element, when history is a dynamic one. How can a relatively immobile element on its own determine movement and development? All the distinctive traits of races are effaced in front of the internal combustion engine, not to say in front of the machine gun.
[Attr. to Alfred Eisenstaedt] Membres de la garde impériale du Negus,
Addis-Abeba, 1935. Vintage silver print, 205×280 mm mm, caption
and agency stamps, verso.
“When Hitler prepared himself to establish a state regime suitable for the pure Germano-
Nordic race he found nothing better than to plagiarize the Latin race of the south.
In his time, during his fight for power, Mussolini used — turning it upside down — the social doctrine of a German, or rather a German Jew, Karl Marx.
And two years before Mussolini had called him ‘the immortal teacher of us all.’
If today, in the twentieth century, the Nazis propose to turn their backs on history, on social dynamics, on civilization, in order to return to ‘race’ then why not go further back? Anthropology — isn’t this true? — is only a part of zoology.
Who knows? It’s perhaps in the kingdom of the anthropopithicus that the racists will find their highest and most indisputable inspiration for their creative activity?”
[Shoshone Mike. The Last Indian War] Indian Boy Bound on Wagon with Ropes, Washoe County, Nevada, 1911. Vintage silver print on post-card stock, 85×140 mm, caption in pencil, verso. “The partial remains of three adult males, two adult females, two adolescent males, and three children, believed to be Shoshone Mike and his family, according to contemporary accounts, were donated by a rancher to the Smithsonian Institution for study (repatriated in 1994 to the Fort Hall Idaho Shoshone-Bannock Tribe)”.
Dictatorships and Democracies (Second of Georges Simenon’s three written questions)
“Can the grouping of dictatorships be considered an embryo of the grouping of peoples or is it just a passing phase?”
Trotsky’s Response: “I don’t think that the grouping together of states will be done on the one hand under the sign of dictatorship, on the other of democracy.
“With the exception of a thin strata of professional politicians, nations, peoples and classes don’t live on politics.
State forms are nothing but a means before certain determined tasks, especially the economic. Obviously a certain similarity of state regimes predisposes towards a rapprochement and makes it easier. But in the last instance it is material considerations that decide: economic interests and military calculations.
“Do I consider the group of fascist dictatorships (Italy, Germany) with those quasi-Bonapartist (Poland, Yugoslavia, Austria) episodic and temporary? Alas, I can’t make mine such an optimistic prediction.
Fascism is not provoked by a psychosis or “hysteria” (this is how some salon theoreticians like Sforza offer consolation) but by a profound economic and social crisis that pitilessly eats away at Europe’s body.
The current cyclical crisis has done nothing but render the morbid organic processes sharper.
The cyclical crisis will inevitably cede its place to a conjunctural reanimation, though it will be to a lesser degree than that expected.
And the general situation of Europe will not get much better. After each crisis the smallest and weakest enterprises become even weaker, and completely die. The strong enterprises become even stronger. Next to the economic giant of the United States a European continent broken into pieces represents a combination of small enterprises hostile to each other.
America’s current situation (1933) is very difficult: the dollar itself has bent the knee.
Nevertheless, after the current crisis the international relation of forces will change in favor of America to the detriment of Europe.
“The fact that the old continent as a whole is losing the privileged situation it had had in the past leads to an excessive exacerbation of antagonisms between European states and between the classes within these States. Of course, in the different countries these processes have reached a different level of tension. I think that the growth of social and national contradictions explains the origin and the relative stability of the dictatorships.
“In order to explain my thought permit me to refer to what I had the occasion to say a few years ago on this question; Why do democracies give place to dictatorships, and is it for a long time? Let me give a literary quotation from an article written 29 February 1929.
“It is sometimes said that in this case we are dealing with backwards nations, or those lacking in maturity. This explanation is barely applicable to Italy. But even in cases where this explanation would be correct, it clarifies nothing. During the 19th century it was considered almost a law that backwards countries all climb the steps of democracy.
Why then does the 20th century push them onto the path of dictatorship? Democratic institutions show that they can’t bear up under the pressure of contemporary contradictions, now international, now internal, most often international and internal at the same time. Is this good? Is this bad? In any case, it’s a fact.
“By analogy with electrical technology, democracy can be defined as a system of switches and insulators against the too-strong currents of national or social struggle. No era in human history has been as saturated with as many antagonisms as ours.
An excess of current is increasingly being felt in parts of the European network. Under too much pressure from class and international contradictions the switches either melt or blow up. These are the short-circuits of dictatorships. The weakest switches are obviously the first to fail.
“When I wrote these lines Germany still had a Social-Democrat as head of government. It’s clear that the subsequent march of events in Germany — a country that no one can consider backwards — has not been able to shake my appreciation of the situation.
“It’s true that during this time the revolutionary movement in Spain swept away not only the dictatorship of Primo de Rivera, but also the monarchic regime. Contrary currents of this kind are inevitable in an historical process. Nevertheless internal equilibrium is far from being realized on the peninsula beyond the Pyrenees. The new Spanish regime has not yet demonstrated its stability.”
Second of Georges Simenon’s three written questions (War or Peace? )
“Do you believe gradual evolution possible? Or do you consider a violent jolt as necessary? How long do you think the current indecision can be prolonged?”
Answer:
“Fascism, particularly German National-Socialism, brings Europe an indisputable danger of a warlike shock. Being off to the side, perhaps I am wrong, but it seems that we aren’t sufficiently aware of the extent of the danger. In a period of if not months but years — and certainly not tens of years — I consider a warlike explosion from fascist Germany absolutely inevitable.
It is precisely this question that can become decisive for Europe’s destiny. I hope very soon to address this in the press.
“Perhaps you think my appreciation of the situation is very somber. I am only trying to draw conclusions from facts, taking as a guide not the logic of sympathies and antipathies, but the logic of the objective process.
I hope it isn’t necessary to prove that our era isn’t one of a peaceful and calm prosperity and of political comfort. But my appreciation of the situation can appear pessimistic only to persons who measures history’s march with a too short measure. From up close all great eras appear somber.
The mechanism of progress, it must be recognized, is quite imperfect. But there’s no reason to think that Hitler, or a combination of Hitlers, will succeed in forever — or perhaps for a few years — making this mechanism go in reverse. They will break many of the gear’s teeth, they’ll twist many levers, they can make Europe go backwards for a few years. But I have no doubt that in the end, humanity will find its path. The observation of all periods of the past is a guarantee of this.”
“Do you have other questions to ask me?” Trotsky asks with patience.
“Only one, but I fear it might be indiscreet.”
He smiles and encourages me to continue with a sign of his hand.
“Newspapers have claimed that you recently received emissaries from Moscow commissioned to ask you to return to Russia”
The smile accentuates.
“That’s not true, but I know the source of the story. It’s an article of mine that appeared two months ago in the American press. I said, among other things, that given the current policies of Russia I would be ready to serve again if any danger threatened the country.”
He’s calm and peaceful.
“Would you again take up active service?”
He nodded his head yes, while one of the young men installs the lines in the boat, doubtless for the night’s fishing.
Return to Saint-Cloud, I mean to Prinkipo, and to the “bateau-mouche”.
That evening I dine at the Régence. The prospectus says: “The elegant restaurant where you will be received by ladies of the Russian aristocracy …” For there are still a thousand Russian émigrés in Constantinople and like in Paris, Berlin and elsewhere, evenings offer the nostalgia of balalaikas, piroyoks, vodka and shashliks.
At that same hour, on his island that the young girls and the calicoes have deserted, Trotsky is sleeping.
First published: Paris-Soir, 15 + 16 June, 1933; adapted from the English translation online: